Confession d’un Commissaire de Police au Procureur de la République (Damiano Damiani, 1971)

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Un des principaux artisans du polar italien, l’apport notable de Damiano Damiani au genre s’inscrit surtout à partir de son essor de la fin des années 60, notamment à travers ses collaborations successives avec le ténébreux Franco Nero. Loin de l’orientation violente et romanesque qu’on associe souvent aux pellicules d’actions policières transalpines, son œuvre s’affirme plutôt par une certaine retenue « classique » et un ancrage réaliste, crédible. Pour qui aura déjà vu son inclinaison politique dans «El Chunco », son « Confession d’un commissaire de police » pose un même regard critique sur les institutions, notamment ici les compromissions du système judiciaire corrompu. Si la charge politique imprègne tout le drame, c’est pourtant plus à travers la peinture humaine de ses héros que Damiani insuffle une véritable ampleur tragique qui dépasse les enjeux d’une « simple » enquête, gonflant progressivement jusqu’à un dénouement puissant. Accablant tout autant les méthodes mafieuses qu’un affairisme politique et judiciaire, et mettant en perspective la conception de la Loi, le film décrit un échiquier policier se posant ici comme le confluent torturé de toutes ces luttes d’influences et dérives, où leurs exécutants se trouvent, seuls, mis en face d’une équation explosive et insoluble.

Ce sont ces deux trajectoires, un jeune procureur idéaliste et un commissaire désabusé s’éclairant l’un l’autre, qui forment des arcs tendus en diable au service d’une histoire somme toute classique mais dont l’agencement rythmique, la tension des dialogues et de mémorables pics de violence à froid tracent une marche qu’on devine inéluctablement funèbre. Le superbe thème musical de Riz Ortolani, tragique, ample et pesant, achevant de transformer l’ensemble en un bloc remarquablement dépouillé, naviguant avec aise et dignité dans le cadre étriqué du genre, et où les enjeux d’Etat imposent un brutal retour sur terre, teintant la « confession » d’un voile sombre que vient contrebalancer un plan final laissant entrevoir tout le bouillonnement intérieur d’une époque.

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novembre 9, 2011 at 12:31

Publié dans Cinéma

Naissance d’un Gourou (Takeshi Kitano, 1991)

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Où l’on retrouve un Takeshi Kitano versant papier après un sympathique et autobiographique Asakusa Kids narrant sa jeunesse dans les cabarets interlopes d’un quartier populaire de Tokyo. Ici un récit de fiction ancré dans un univers similaire, un Japon apathique peuplé de petites gens honnêtes et crédules et de yakuza idiots battant le pavé. S’attachant aux basques d’un étudiant paumé entré un peu par hasard dans le culte d’une secte, on y découvre les rouages peu glorieux d’une petite organisation où la dimension spirituelle est quelque peu égratignée par une gestion fortement portée sur le Yen, toujours prompte aux arrangements et petites magouilles. Loin d’une attaque au vitriol sur un mouvement d’importance dans le Japon post-bulle économique (œuvre parue en 1991), on retrouve l’univers typique du cinéaste où une certaine tendresse ou violence s’immiscent dans un réalisme morne. Un glissement progressif nous fait découvrir que le personnage clé n’est pas tant ce nouveau gourou, mais son bras-droit très kitanesque (Kitano interprétera d’ailleurs ce rôle dans l’adaptation cinéma du roman), tour à tour solennel, mystique ou porté sur l’alcool et la bonne chair des salons de massages. Personnage ambigu qui vient donner un peu de nuance et de mystère à un récit linéaire vite expédié et sans grand relief, ne faisant jamais que survoler son véritable sujet (ce n’est pas tant la religion qui compte, mais l’énergie qu’on y projette). Pour un roman se reposant surtout sur l’évocation de petites tranches de vie, qui s’il se parcoure agréablement, échoue surtout à se construire.

Written by NR

novembre 9, 2011 at 12:24

Publié dans Littérature

Mahjong (Edward Yang, 1996)

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Un des films les moins connus d’Edward Yang, Mahjong porte pourtant en son sein toute la puissance cinématographique de son auteur. On y retrouve une structure narrative ciselée conférant une véritable densité à une galerie de personnage s’entrecroisant dans une Taipei cosmopolite à un tournant de son histoire. Comme dans ses autres œuvres, c’est tout autant à une peinture d’individus, de couples, de générations qu’un regard sur son pays auquel nous convie le cinéaste. Si la maitrise scénique et narrative impressionne toujours autant, c’est pourtant dans l’humanité de ses personnages que Mahjong trouve sa vraie force. A travers ces épisodes entrecroisés, Edward Yang pose un regard inquiet et attendri sur une jeunesse paumée, une fragilité trouvant écho dans le cadre ample et incertain que déploie le cinéaste, pour mieux en faire résonner l’amertume tout autant que l’espoir que l’amour peut faire naitre.

Written by NR

novembre 9, 2011 at 12:19

Publié dans Cinéma

L’Eveil de la Bete (Jose Mojica Marins, 1969)

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Film hybride et impur issu de l’esprit fantasque de Jose Mojica Marins, L’éveil de la bête prend corps dans le choc des aspirations populaires et auteurisante qu’invoque un cinéaste se dessinant en icône hantant l’inconscient collectif brésilien. Puisant ses sources autant dans l’imagerie surréaliste de sa culture, l’écho d’une société troublée qu’une forme cinématographique alternative mettant en perspective l’objet film, Marins livre un amas irrévérencieux de fragments ludiques et torturés définissant sa propre mythologie, une posture constamment imprégnée d’une certaine lucidité ironique. Une libération des pulsions et de l’inconscient qui prend un chemin chaotique et inégal mais toujours fascinant dans ses soubresauts géniaux, une forme libre où autant d’inspirations et ruptures mémorables font échos à la composante surréaliste et psychédélique qui nourrit son projet. Un bien curieux objet de son époque !

Written by NR

novembre 9, 2011 at 12:13

Publié dans Cinéma

La Fille Du Bureau De Tabac (Masahiko Matsumoto)

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Visions d’un Tokyo des années soixante où l’on découvre les trajectoires de jeunes adultes pris entre désir de liberté et d’indépendance, des contraintes matérielles pesantes et une tradition encore prégnante. A l’image d’une ville en plein mutation, c’est tout autant l’incertitude que l’insouciance qui règne dans cette période charnière du renouveau nippon où s’entrecroisent des petites histoires de cœurs, de désirs inavoués et d’amours bancales. Rejeton de l’école gekiga du manga réaliste, l’approche d’un Masahiko Matsumoto s’éloigne sensiblement de la noirceur d’un Yoshihiro Tatsumi pour pointer de façon fine des petits détails et attitudes de l’humain, où le fond social contemporain est croqué de façon sensible, non sans parfois pointer certains sujet de façon plus directe. Dans des traits simples aux atours naïfs et un découpage classique plutôt timide, amertume douce, humour résigné et espoir de soirs d’ivresse se fondent dans ces faisceaux de tranches de vies où l’auteur porte un regard empathique sur un petit monde attachant. On trouvera quand même une certaine répétitivité stylistique et thématique dans cette compilation de petites histoires semblable et faussement anecdotiques, un ouvrage qu’il conviendra mieux de parcourir comme autant de respirations charmantes et plongées nostalgiques dans ces tableaux d’une autre époque.

Written by NR

novembre 9, 2011 at 12:03

Publié dans Bande Dessinée

L’Ecole de la Sensualité (Noboru Tanaka, 1972)

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Un bel exemple de l’originalité de traitement insufflée dans le genre de la comédie érotique étudiante où le thème de voyeurisme cher à Tanaka s’y dévoile de façon ostensible, orientant l’érotisme et la chair comme matériau distant, autant source de fascination que de frustrations. Représentant d’une veine plus légère, le film narre la passion déraisonnable d’élèves potaches et libidineux obsédés par leur pucelage. S’attachant aux basques d’Isao, jeune étudiant épris de sa professeur, l cinéaste porte un regard attendri et ironique sur ce personnage en marge. Alors que ses camarades potaches s’adonnent aux plaisirs de la chair dans le repère d’une tenancière de bar nymphomane, Isao s’obstine et se prostre dans la fétichisation de son premier amour. Si le film use des ressorts ludiques centrés autour de la fesse joyeuse, sa subtilité tient dans les variations de tons qui viennent nuancer le postulat lubrique. La passion d’Isao prend une tournure obsessionnelle pathologique, et ses stratagèmes pour conquérir le cœur de sa belle revêtent des atours plus sombres. C’est dans ce basculement intermittent que L’Ecole de la sensualité trouve son identité, faisant migrer le récit salace vers une évocation anxieuse de l’incertitude amoureuse, pour finalement distiller un parfum de malaise lorsque que le vaudeville cesse brusquement pour rappeler les conséquences des pulsions égoïstes de cette jeunesse. Si le talent plastique et formel de son auteur y apparait moins manifeste, le film s’affiche comme un étrange objet ‘pop’ où les passages érotiques et éruptions du fantasme sont dépeints avec moult filtres colorés, flou artistique et profusions zooms. Opus mineur au regard des grandes réussites de sa filmographie, L’Ecole de la sensualité n’en reste pas moins un curieux et attachant hybride aux humeurs multiples, pur produit de son époque.

Written by NR

novembre 9, 2011 at 11:49

Publié dans Cinéma

Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation (Pierre Louÿs, 1926)

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Personnalité atypique du milieu littéraire français de la fin XIXè, l’ironie et la malice de Pierre Louys se manifestèrent précocement, et avec éclat, par l’entremise des « Chansons de Bilitis », (fausses) traductions de poésies érotiques inédites d’une contemporaine de Sapho mais aussi une des supercheries littéraires les plus importantes du siècle. Une sensibilité sulfureuse qui parcourt toute l’œuvre d’un poète érotomane et bibliophile fétichiste, et se retrouve dans sa fascination pour les curiosa, ces textes licencieux d’arrière-rayons, qui dévoilent un esprit en marge, partagé entre l’amour des mots et des plaisirs de la chair.

S’il prend aussi la forme anonyme (et ici posthume) de ces recueils inavoués, son « Manuel de civilité pour les petites filles à l’usage des maisons d’éducation » délaisse les cadres raffinés de l’érotisme classique pour porter un cinglant coup de griffe contre le puritanisme de la Belle-Epoque. Pastiche des manuels d’éducation des nobles et respectables familles, le sexe en est l’élément central, parfaite cristallisation de l’hypocrisie puritaine du milieu bourgeois. Recueil de conseils moralisateurs courts que Pierre Louys pervertit tout en conservant une extrême distanciation ironique, il use brillamment de la provocation, de la répétition et et de l’accumulation (débauche, inceste et pédophilie abondent) pour mieux accabler un ordre moral dépassé, gangrené et prêt à se fissurer. S’il est un reflet de l’air de son temps (la première guerre mondiale) et un délicieux exercice ironique, cette charge au vitriol contre le cadre bourgeois nous rappelle en creux que l’outil du rire est aussi un formidable moyen de subversion et de mise en abime.

« Si monsieur votre père vous prie de le sucer, ne dites pas étourdiment que sa pine sent le con de la bonne. Il pourrait se demander d’où vient que vous reconnaissiez cette odeur-là. »

Si une dame modeste vous dit : « Mon fils travaille moins bien que votre frère », ne répondez pas : « Oui, mais son foutre est meilleur. » Les éloges de ce genre-là ne font aucun plaisir à une mère chrétienne.

« Avant de recevoir un godemiché dans le cul, n’exigez pas que l’instrument soit béni par l’archevêque. Certains prélats s’y refuseraient »

Written by NR

novembre 9, 2011 at 11:34

Publié dans Littérature

Les Temps Morts (René Laloux, 1961)

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Montage court de dessins surréalistes, d’images d’archives violentes que recouvre une voix-off monotone livrant une réflexion sur la fascination de l’homme pour la mort , Les Temps Morts suinte une pesante mélancolie auquel fait écho le superbe thème d’Alain Gorager. Un univers distinctif dont la puissance poétique porte les traits reconnaissables de René Laloux et Roland Topor (deux auteurs signant ici leur première collaboration) dont les obsessions sur l’Humain entrent en résonance, prenant le chemin d’une évocation existentialiste bien particulière où le pessimisme s’exprime par l’entremise d’un regard lucide et ironique témoignant aussi d’une touchante fragilité.

Written by NR

novembre 9, 2011 at 11:22

Publié dans Cinéma

La Femme Insecte (Osamu Tezuka, 1970)

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Il n’y a dans ce Tezuka là, rien que l’on n’aura pas vu dans ses meilleurs crus modernes (MW notamment) ; pourtant sous ses atours classiques se déroule une trame prenante dont l’arrière-fond met en scène un Japon moderne mettant un pied dans une ère où des égos voraces convoitent richesse et gloire. Un récit relativement manichéen avec des pointes violentes et autres percées sexuelles aux légers accents psychédéliques. Plus que la peinture, quelque peu inachevée, d’une héroïne ambiguë reflet d’une époque égoïste, c’est surtout l’occasion de retrouver une patte narrative et stylistique toujours aussi habile à instaurer un certain dynamisme et une composition très cinématographique dans un univers au doux parfum de thriller. Un petit Tezuka, et c’est déjà beaucoup .

Written by NR

novembre 9, 2011 at 11:14

Publié dans Bande Dessinée

A Colt Is My Passport (Takashi Nomura, 1967)

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Alors que la Nikkatsu constate l’avancée inéluctable d’une crise financière imminente, l’avènement synchrone et progressif de la mythologie du héros existentialiste marque un tournant thématique majeur, délaissant les figures classiques circonscrites par les cadres stricts des codes d’honneur mafieux et du divertissement populaire. En 1966, Le Vagabond de Tokyo se faisait déjà le témoin ironique d’un changement d’ère ; les productions qui lui succèdent viendront bientôt préciser ce constat avec une approche originale sous-tendant un regard implacable, froid et désabusé. Au coté de Like a shooting star ou La marque du tueur, l’antérieur A Colt is my passport illustre brillamment ce modernisme élevant la série B vers des sphères thématiques matures. Le contraste avec les précédents travaux d’un Takashi Nomura bien moins inspiré n’en prenant ici que plus de saveur.

S’il s’avère prisonnier d’une trame classique et linéaire peu propice aux figures libres de ses successeurs, le film de Nomura s’en accommode avec brio en s’appliquant à déréaliser son cadre en reléguant en arrière-plan tout ancrage réaliste et ses rares figures secondaires. Mis à nus, les enjeux du récit s’exposent avec force et prennent bientôt les atours d’une lutte physique mais surtout mentale liant les protagonistes jusqu’à la catharsis finale. Un monde parallèle qui se dévoile par une mise en scène privilégiant le minimaliste contenu (décors sobres épurés dépeint dans la durée), les plans-métaphores (les espaces sauvages comme échos à la solitude du tueur) et une photographie funèbre procédant, par instants, par touches quasi-expresionnistes.

La vraie réussite du film réside pourtant dans cette rythmique, lente et douloureuse, déroulant implacablement les tournants narratifs ‘classiques’ du film d’action. Une mise sous tension remarquable à l’image de l’entame montrant les préparations minutieuses de l’assassinat. Un tunnel narratif, entièrement tendu vers son climax, qui dévoile progressivement un héros dont la froideur apparente (Jo Shishido d’une sobriété fascinante) se fissure au hasard de ressassements et divagations avec son compagnon de fuite ou cette veuve tragique pour qui l’amour débouche invariablement sur la mort. La condition du tueur est celle d’un être seul, survivant dans l’ombre et fuyant vers l’avant, où les notions de loyauté, d’amitié et d’amour prennent un tour existentiel. En résulte une tonalité d’ensemble résolument moderne ; une voie que Seijun Suzuki explorera et radicalisera jusqu’à l’absurde, quatre mois après, dans son chef d’œuvre noir et ironique.

Avec le western Fast Draw Guy (1961) Takashi Nomura s’était fait un représentant emblématique du mukokuseki akushun (action sans frontière), mélange des styles propre à la Nikkatsu. Si A Colt is my passport fait preuve d’infiniment plus de sobriété, son canevas témoigne également d’un spectre d’influence bien typé. Un remarquable thriller bien sûr, une approche dramatique poussée aux nombreuses plages dialoguées, et l’influence surprenante du western qui s’invite dans un final enthousiasmant. Sur la bande-son caractéristique du genre se met en place un duel terminal dans un décor irréel, une plaine désertique aux poteaux télégraphiques fendant l’horizon, où s’illustrent course-gunfight orgiaque, postures héroïques stylisées et gadget impromptu. Une catharsis qui conclut avec panache la progression d’un récit dont on regrettera que la conclusion très serial et la belle romance laissée inachevée ne viennent pas participer à une charge émotionnelle plus puissante.

Written by NR

novembre 9, 2011 at 11:02

Publié dans Cinéma